– 20/09/76 – Subway Sect, Siouxsie and the Banshees, Clash (UK) et les Sex Pistols (UK)

100 Club au 100 Oxford Street à Londres (Angleterre)

Organisation : Malcolm Mc Laren

C’est par un lundi pluvieux que s’est déroulé le premier festival de punk rock anglais. Des affiches des Sex Pistols recouvrent la ville : Anarchy in the UK, avec nos quatre héros, le visage collé contre une vitre. Pour ce festival, un seul groupe français invité : les Stinky Toys. On parle de plus en plus d’eux après leurs concerts à la Pizza du Marais et à la Fête de Laborde où Felix Guattari et Dominique nous ont si gentiment reçu, mais les journaux de rock font encore la sourde oreille. Je décide de faire une interview d’eux sur place :
AP : Comment s’est passé votre voyage ? Jacno : Eh bien, ça a commencé à la gare de l’Est, parce que Bruno nous avait donné rendez-vous à la gare de l’Est pour partir a Londres. Il attendait sur un quai un train qui ne viendrait jamais. Donc transfert à la gare du Nord. On se paye un wagon de première classe pour tous les Stinky Toys : huit places pour le groupe.
D. Tarlé (manager du groupe) : C’était génial, une petite table près de la fenêtre pour rouler les joints d’herbe pure, tranquillement... Jacno : Joint auquel je n’ai pas participé car je hais 1’herbe (hurlant dans la cassette), je hais l’herbe.
Tarlé : Après cela, on est arrivés a Dunkerque, couloir en acier, douane, billets, redouane, pour les instruments de musique et le bateau avec un super juke-box et une piste de danse.
Jacno : Et puis un bas... un bar...
Tarlé : Un bar lamentable, on a préféré aller manger des œufs au bacon dans un endroit divin, un wimpy sur les vagues, carrément. Après la discothèque bidon, on débarque a Douvres...
Jacno : Paysan, comme ville... Bruno : Et le flash de Lille ?
Jacno : Oui, la bière de Lille est meilleure que celle de Douvres. On est descendus une heure a Lille pour boire un godet. Y avait un juke-box avec une merde Mungo Jerry et un truc sympathique 1 Rod Stewart, mais sa voix géniale ne passait pas. vraiment...
Tarlé : Donc on débarque, redouane, rebillet. On arrive a Londres, Oxford Street, le Club 100, le matériel est entièrement prêté par les Sex Pistols. C’est Malcolm McLaren qui organise le festival. Il tient la boutique « Sex » a King’s Road, un endroit étonnant, avec sur la façade trois lettres énormes en vinyl rose : SEX, un mot d’ordre, une attitude. On y trouve tout un attirail sado-maso : chaînes, fouets, poignets de force et ceintures cloutées, pantalons de skaï noir moulants, t-shirts déchirés retenus par des épingles à nourrices on s’ouvrant sur les seins avec des fermetures éclairs. Au centre du magasin, le traditionnel juke-box égrène les derniers rocks. Les clients arborent une chemise avec un brassard rouge orné d’une croix gammée noire sur fond blanc à droite, un portrait de Marx en soie tissé en Chine populaire a gauche. Les Toys arrivent au Club 100 des cinq heures de l’après-midi, on sort toutes les cinq minutes essayer un nouveau pub et une nouvelle sorte de bière : « Ça change de la Valstar », dit Jacno. Le directeur du club, un gros con débile, a programmé les Toys en dernier après les Pistols. C’est aberrant, ils auraient du passer avant. En fait, ils ne joueront que le lendemain. Les Clash prêtent leur matériel aux Toys qui peuvent faire des essais de son avant que le premier groupe commence. Ça démarre avec Subway Sect, quatre petits Anglais en shetland, très cool et très clean, un look assez classique. Ils jouent une série de rocks qui se ressemblent tous ; rien a dire. Ensuite la scène est prise d’assaut par Siouxsie and the Banshees. Siouxsie faisait partie du Bromley Contingent, le premier noyau de fans des Sex Pistols. Elle porte le brassard à croix gammée et a les yeux outrageusement maquillés. Son guitariste, Marco, tire la langue aux photographes et aux groupies : il est vraiment hideux. A la batterie, il y a l’horrible Syd Vicious, avec un t-shirt en lambeaux qui laisse apparaître son torse avantageux. On me chuchote que c’est le personnage le plus malsain de la scène anglaise. Il s’est battu avec Nick Kent et tout a l’heure i1 a voulu écharper Bruno et Albin en leur montrant un énorme cran d’arrêt et les traitant de « frogs ». Ils n’ont dû leur salut qu’a l’intervention de Malcolm. C’est leur premier passage sur scène et ils ne jouent qu’un seul morceau dont chaque couplet se termine sur l’air de Deutschland Uber Alles. Puis, c’est Clash : un garage band sous la houlette de Joe Strummer qui faisait du pub-rock avec un groupe peu connu : les 101 ers. Le bassiste Paul Simonon a des traînées de peinture noire sur sa chemise et son pantalon, dans un style expressionniste-abstrait proche de Pollock... Le guitariste Mick Jones porte un cuir. Clash, c’est la violence a l’état pur pendant une quinzaine de morceaux. Ensuite, les Sex Pistols. On les avait vus a Paris lors de l’ouverture du Chalet-du-Lac mais ils avaient du jouer devant un public de minets. Ici, au Club 100, ils sont chez eux, et le public les suit. Le chanteur Johny Rotten se contorsionne dans une camisole de force noire, bardée de chaînes et de fermetures éclairs qu’i1 est de bon ton d’arborer sur ses vêtements. Steve Jones à la guitare est un blond décoloré un peu dégingandé. Paul Cook a la batterie, un vrai blond assez mignon. Enfin Glenn Matlock 21 la basse est très brun. Le show commence par Anarchy in the U.K., leur grand succès, suivi de Pretty Vacant, No Feelings, Submission, Problems et une reprise un peu ratée parce que trop rapide de No Fun des Stooges. Pendant qu’i1s jouent, les punks brisent un nombre considérable de chopes de bière par terre et se poussent les uns les autres jusqu’à perdre 1’équilibre et tomber sur le verre brisé. Il n’y a pas d’accidents graves, juste des égratignures, ensuite on se mettra des bandages, ce qui fera encore plus punk. C’est assez flash de voir les teenagers, dont certains sont très beaux, jouer a Rollerball et les stars a Orange Mécanique... Très souvent, on est au bord de la bagarre générale, les t-shirts sont de plus en plus déchirés, on mettra encore plus d’épingles a nourrice... Lors du second rappel, le groupe refait Anarchy in the UK. Le concert se termine quelques minutes avant le dernier métro, au bord de la catastrophe, les Stinky Toys ne joueront pas ce soir. Alain Pacadis « Un jeune homme chic »

[ Sur le front : Alain Pacadis, Bruno Carone, Hervé Zénouda, Elli Medeiros, Jacno, Dominique Tarlé. ]