– 26/04/77 – Subway Sect (UK) et Clash (UK)

+ Palais des glaces au 37 faubourg du temple à Paris (75010)

Organisation : Skydog

Suite du Festival Punk au Palais des Glaces avec Subway Sect et Clash. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de monde qu’hier. Yves Adrien est sorti de son bunker. Il y a Serge, Djemila, Edwige qui se balade depuis le début de la semaine avec une photo des Clash collée sur son blouson, Titi, Alain Benoît, Jean-Luc Maître, Valérie et Anne (les inséparables), Aphrodisia Flamingo, Fury, etc. Bref tous les punks ainsi qu’une nouvelle scène de gens plus chics qui se sont intéressés au punk à cause de ses aspects extérieurs, vêtements, attitude, et qui maintenant commencent à prendre goût à la musique.  Le concert commence avec Subway Sect. Il y a Vic Godard (chant), Paul Myers (basse), Robert Miller (guitare) et Paul Smith (batterie). On raconte qu’ils composent une chanson pendant la nuit et la jouent le lendemain. Vic Godard, leur tout jeune chanteur de 18 ans, déclare : « Notre musique ne définit rien. Au départ nous improvisions, maintenant nous répétons nos morceaux mais notre musique est toujours la même ! » Ils sont tous très jeunes, entre 18 et 19 ans, et en avaient marre d’être chômeurs et de glander sans fric ; alors ils ont commence à jouer a Hammersmith dans la station de métro. C’est de là qu’ils ont pris leur nom.  Ensuite, Clash, le groupe le plus politisé de la nouvelle scène anglaise. En avril 76, le manager des 101 ers vint me voir à Libé. On lui avait parlé à Londres d’un mec qui écrivait des articles sur le punk dans un canard gauchiste. Malheureusement, je n’étais pas là et il me laissa un petit paquet avec des photos du groupe, des revues de presse et une cassette avec la maquette de leur prochain album. Je l’écoutai le soir. Quelle claque ! Enfin un bon groupe de rock’n roll, avec des morceaux tous originaux qui swinguent et sur lesquels on a envie de danser : Keys to your heart, leur single, Leavin’ Suck City, Petrol, Rabies, Steamgange 99, Moto Boys Heart, des thèmes d’inspiration urbains et teens. Ils avaient formé un groupe à Paddington, un quartier de Londres réputé pour ses trains : le 101 ers. Joe Strummer, leur guitariste, est obsédé par le rythme des voies ferroviaires : « Une fois que vous avez ce rythme qui fait cliqueti-clac dans le sang, vous ne serez plus jamais le même. » Le groupe comprend en plus de Strummer Tall « Snake Hips » Dudansky à la batterie, Clive W.M. Timperlee à la guitare, « Desperate » Dab De Bass au piano. Pendant plus d’un an, ils écument le circuit des pubs londoniens, reprenant avec de grandes libertés des classiques du rock’n roll ou jouant leurs morceaux à eux. Ils vivent dans des maisons squatterisées, ce qui fait qu’i1s ont souvent joué pour défendre cette cause. Un jour, au Nashville de Kensington, les Pistols jouent trois morceaux à une première partie des 101 ers. Ils se font descendre par toute la presse : « Les Pistols font autant pour la cause du rock’n roll que la deuxième guerre mondiale avait fait pour la cause de la paix », écrit Allan Jones après le concert. Pourtant dans la salle, il y a Mick Jones qui fait partie des London SS, un groupe qui n’ose pas encore monter sur scène (Tony James, basse, Brian James, guitare, et Rat Scabbies, batterie), et Paul Simonon qui appartient au Bromley Contingent, ce premier noyau de fans des Pistols. Avec Joe Strummer, qui dès qu’i1 a vu les Pistols décide de dissoudre les 101 ers, nos trois guitarheroes vont former un groupe : ce sera Clash. Aussitôt, Bernard Rhodes leur propose de devenir leur manager. Bernard imprimait des t-shirts pour  Malcolm McLaren a la boutique « Sex » de Londres. Il n’y a pas encore de batteur définitif. Ensuite, les premiers concerts, puis le Punk Festival au Club 100, où ils se font remarquer par la presse à cause de leurs chemises dégoulinantes de couleurs dans le style de l'action-painting proche de Pollock, et surtout de leurs lyrics qui expriment les aspirations d’un groupe radical. Bientôt, les Pistols se font virer de EMI puis de A & M. La presse commence à se désintéresser d’eux, i1 y a une place à prendre sur le devant de la scène et Clash signe pour une forte somme avec CBS, sort un single et prépare un album. « Attention les Pistols, les Clash arrivent! » Les Clash vont faire prendre un tournant au punk en en radicalisant le discours et la musique. Les Pistols avaient poussé le punk vers une voie suicidaire, avec leur arsenal de croix gammées et leur position plus qu’ambiguë sur la place de la jeunesse dans le combat contre la bourgeoisie. Avec les Clash s’effectue un retour a une optique plus politisée. Ils ont assimilé le marxisme et prêchent la guerre urbaine, la lutte des classes. « Nous sommes antifascistes, antiracistes, et non-violents. Nous cherchons à éduquer les kids qui viennent à nos concerts pour les empêcher de s’inscrire au Front National si la situation politique se dégradait. Nous avons conscience que les jeunes jamaïcains expriment leur haine du colonialisme par le reggae, que les Noirs se révoltent contre l’impérialisme US par le free-jazz, mais nous sommes de jeunes prolétaires blancs et c’est par le rock que nous exprimons notre haine de la bourgeoisie ! Avant, nous traînions toute la nuit dans les bars, buvions des pintes de bière et nous battions avec les kids dans les pubs avant d’aller démolir les cabines téléphoniques de King’s road. Maintenant, nous faisons un groupe de rock’n roll et les gosses qui viennent nous voir prennent leur pied et ne vont plus se saouler la gueule ! », déclare Joe Strummer. Leur 45 tours est un hymne à 1977, sur une musique urbaine, violente, radicale.  « En 1977, pas d’Elvis, pas de Beatles, pas de Rolling Stones/En 1977, je ne veux pas servir pour la RAF/Je ne veux pas faire la guerre coloniale/Je suis contre le service civil/ En 1977, je ne lancerai pas de bombes pour vous... »  Clash, ça veut dire conflit, combat. Une sirène de flics, des pavés qui volent, une barricade en flammes, voila ce dont parlent les Clash. Sur la pochette de leur 45 tours, ils écrivent un texte théorique : « La jeunesse après tout n’est pas une condition permanente, et un conflit de génération n’est pas aussi fondamentalement dangereux pour le gouvernement qu’un conflit entre dominants et dominés. » Les Pistols avaient montré l'imminence du conflit de générations, Clash pousse l'axiomatique plus loin et la déplace jusqu’au conflit de classe. Vive Clash l Vive la lutte de classe ! Après le concert du Palais des Glaces, je rencontre les Clash dans le hall de leur hôtel, place de la République. Ils me présentent leur nouveau batteur : il s'appelle Nicky Headon et fait définitivement partie du groupe. Quelques bières. Décor design du Modern’ Hôtel. Joe Strummer : C’est toi qui écrit dans Pénétration ?  AP : Pas Pénétration, mais Libération. C’est un quotidien d’extrême gauche. Qu’est-ce que tu penses des squatters ta Londres, de tout ce mouvement d’occupation des maisons vides ?  Mick Jones : « The squatters », c’est un nouveau groupe ?  JS : J’ai squatté pendant trois ans. Maintenant, dans la maisons occupées il ne reste plus que des sales hippies. Ils ne sont pas du tout organisés et ne savent pas quoi faire contre la nouvelle loi ; « The criminal Tresspass » Il y a quelques années, c’était bien. Les gens ne savaient pas où vivre, ils occupaient une maison et s'organisaient. Mais maintenant, dans ces quartiers, il ne reste plus que quelques junkies.  AP : Vous ne portez pas de svastikas sur vos vêtements comme les Sex Pistols ?  JS : Non, parce que nous n’aimons pas ce qu’elles signifient.  AP : Que pensez-vous des drogues dures ?  JS : Je pense que c’est une arme utilisée par la CIA pour détruire les révolutionnaires et les gens qui veulent faire quelque chose. Nous sommes contre les drogues dures et luttons contre elles. Nous ne fumons que de la Ganja (l’herbe).  AP : Pensez-vous que la Ganja devrait être dépénalisée ?  JS : On s’en fout du moment qu’on peut en trouver à volonté.  AP : Il y a eu récemment beaucoup de bagarres à Londres entre Noirs et policiers.  JS : Oui, mais je crois que les flics français sont encore plus durs que les bobbies anglais. On a beaucoup entendu parler de Mai 68. A Londres, pendant les émeutes de Notting Hill Gate, il n’y avait pas de Blancs. Nous y sommes quand même allés par curiosité avec Bernard, notre manager, et il s’est fait casser ses lunettes.  AP : Quelle est la situation politique actuelle en Angleterre ?  JS : Ça ne m’intéresse pas.  AP : Quelles sont vos bases politiques ?  JS : Je crois qu’il ne faut suivre aucun chef. You don’t need a leader ! Je crois en l’organisation. Nous sommes nous-mêmes une organisation, « The Clash organisation » qui comprend sept membres, moi, Paul, Mick, Nicky, Bernard notre manager et deux roadies qui ne nous quittent jamais et habitent avec nous.  AP : Est-ce une organisation construite sur des bases démocratiques ?  JS : Oui, c’est a celui qui criera le plus fort (il se met a hurler).  Mick Jones : Qu’est-ce qui te prend de crier comme ça ?  JS : Je lui montrais comment fonctionnait notre organisation.  AP : Que penses-tu du marxisme ?  JS : Qu’est-ce que c’est ? Tu peux me le définir en 25 mots ?  AP : Oui, c’est une doctrine qui dit que les faits historiques ne sont pas déterminés par le hasard ou les lubies des grands hommes, mais par les classes qui luttent entre elles pour obtenir le pouvoir.  JS : Tu crois que cela peut s’adapter a l’Amérique ? ll n’y a plus de classes la-bàs, ils sont tous bourgeois !  AP : Évidemment, on peut apporter des corrections au marxisme historique. Aujourd’hui, les jeunes n’appartiennent plus a une classe déterminée, quant aux ouvriers, ils sont tous bourgeois, ne pensent plus qu'à la télé, à la voiture et à leur résidence secondaire.  JS : Oui, les ouvrier sont devenus straights. Les Clash sont le groupe le plus politisé de la scène anglaise, mais nous nous contentons de faire du rock, nous connaissons nos limites. Avant, nous crevions de faim, maintenant nous sommes riches, et cela n’aide en rien les ouvriers. Je ne crois pas qu’un groupe de rock puisse avoir une grande importance politique. La puissance politique est au bout des fusils. Nous avons des fusils parce que nous pouvons nous les payer, c’est tout.  AP : Oui, achetons des fusils, car un jour nous nous en servirons ! Après l’interview, Joe Strummer, Mick Jones et Nicky vont rejoindre Marc au Gibus. Là ils retrouvent des musiciens des Damned, Captain Sensible, Dave Vanium et Rat Scabbies. Ils font une jam-session ensemble. Moi je vais dîner à la Coupole. Il y a Paul Simonon entouré de gens de CBS Londres, Elli et Jacno des Stinky Toys, Yves Adrien, Maud, Paquitta, Pierre Benain et Anne Mizes. I1 est deux heures du matin, je rentre me coucher.

« Un jeune homme chic » de Alain Pacadis)

[ Sur le front : Alain Pacadis. ]