
Casse de la Brinks (27/04/88)

Brink’s de Toulouse: des “pros” du hold-up
Un hold-up préparé avec minutie et réalisé avec un sang- froid exceptionnel a été perpétré hier matin au dépôt de la société de transports de fonds Brink’s, à Toulouse, par 7 ou 8 malfaiteurs qui se sont enfuis avec un butin de plus de 15 millions de francs.
“C’est du travail de super- pro », a précisé un enquêteur. En effet, bien que deux personnes aient été gardées en otages pendant toute la nuit précédente, et qu’une dizaine d’employés aient été retenus par les malfaiteurs dans les locaux de la Brink’s à leur arrivée hier matin, aucun coup de feu n’a été tiré.
Prises d’otages
L’opération a débuté vers 21 h mardi soir, lorsque l’un des deux employés de la Brink’s chargés d’ouvrir le dépôt vers 7 heures le matin, a reçu à son domicile la visite de deux faux gendarmes qui l’ont pris en otage avec sa femme. Simultanément, deux autres malfaiteurs se présentaient au domicile de l’autre employé responsable de l’ouverture et, sous le prétexte de lui livrer un bouquet de fleurs, ils l’ont également pris en otage avec son épouse.
Les deux employés, qui devaient effectuer une tournée nocturne, ont ensuite travaillé normalement sans prévenir la police, leurs femmes étant aux mains des malfaiteurs.
15 millions de butin
Lorsqu’ils sont arrivés à 7 h 10 au dépôt de la Brink’s, un hangar gris anonyme au milieu d’une petite zone industrielle proche du centre de
Toulouse, ils étaient attendus par une troisième équipe de malfaiteurs. Ceux-ci étaient à bord de deux fausses 4 L de la gendarmerie garées sur le parking de la Brink’s, vraisemblablement pour endormir la méfiance des vigiles.
Une fois dans la place, les braqueurs ont dû attendre l’arrivée des autres employés de la Brink’s, parmi lesquels quatre personnes détiennent chacune une partie du code permettant l’ouverture des coffres.
Entre 7 heures et 8 heures, 15 employés – dont trois femmes- ont ainsi été retenus, menottes aux poignets, dans le réfectoire de la société, sous la menace de revolvers. Les deux femmes retenues en otage pendant la nuit et leurs maris étaient pour leur part isolés dans un fourgon derrière un hangar voisin.
Une fois les coffres ouverts, les malfaiteurs ont rempli deux gros sacs et se sont enfuis sans être inquiétés à bord de deux voitures un break Renault et une Espace munis d’un butin qui était estimé en milieu de journée à plus de 15 millions.
Cette affaire rappelle un hold-up commis dans des circonstances identiques le 3 mars 1987, à Périgueux (Dordogne), dans une agence de la Société générale : le fondé de pouvoir et un attaché commercial de la banque avaient été pris en otage avec leur famille la veille au soir par quatre malfaiteurs qui avaient ensuite retenu une trentaine de personnes le matin sur les lieux, avant de s’enfuir avec 200.000 francs seulement, parce qu’ils avaient été dérangés par une patrouille de police.
Un dossier aussi rocambolesque qu'inhabituel s'ouvre aujourd'hui devant les assises de la Haute-Garonne. Tout dans cette affaire est hors norme. D'abord, ce « casse » du siècle commis au siège de la Brinks à Toulouse, le 27 avril 1988, a permis à une équipe de braqueurs de rafler 13 millions de francs (1.8 885,000€), selon un scénario digne d'un polar. Un butin colossal dont seul une infime partie a été retrouvée. Ensuite, ce dossier, au terme de pérégrinations judiciaires également rocambolesques, arrive plus de seize ans après les faits devant une cour d'assises. Et encore, seuls des seconds couteaux, tous libres, comparaîtront durant cette semaine d'audience. Les principaux auteurs sont soit morts, soit en cavale.
À l'époque, ces braqueurs avaient minutieusement préparé leur coup. Une logistique sans faille : des uniformes de gendarmes fabriqués, deux Renault 4L maquillés en véhicules de gendarmerie, des talkies-walkies, plusieurs véhicules relais, un entrepôt loué à Plaisance-du-Touch et bien sûr des armes. Dans la soirée du 26 avril 1988, deux malfaiteurs encagoulés surprenaient un employé de la Brink's à son domicile dans le quartier Côte-Pavée. Au même moment, l'un de ses collègues de la Brinks recevait la visite de deux faux gendarmes, chez lui route d'Espagne. Braqués et menottés, les deux convoyeurs et leurs épouses étaient conduits dans le hangar de Plaisance-du-Touch. Délestés de leurs jeux de clefs professionnels, les deux otages étaient interrogés toute la nuit pour livrer toutes les procédures de sécurité du dépôt Brink's, rue Ferdinand-Lassalle, où le commando les conduisait au petit matin du 27 avril. Lesté d'une ceinture d'explosifs, l'un des employés otages était contraint d'entrer dans le dépôt pour neutraliser les alarmes et faciliter l'entrée des braqueurs. Dehors, des faux gendarmes avec leurs 4L bleues faisaient le guet. Très vite, les employés de la Brinks présents ou arrivant dans le dépôt étaient violemment maîtrisés et enfermés dans une pièce. Les casseurs pillaient les coffres et disparaissaient à 8 heures du matin, abandonnant leurs otages ligotés derrière un entrepôt. Les policiers du SRPJ de Toulouse, chargés de l'enquête, débutaient leur traque. Le 31 août, ils interpellaient les premiers suspects : Muriel Guinet et Nicole Blanc. Puis, le lendemain, José Gomez y Martin, après une fusillade au péage de Lalande. Cet ancien de l'ETA reconverti dans le banditisme était considéré comme le cerveau du « casse ». D'autres comparses étaient arrêtés à Bordeaux mais aussi Didier Bacheré près de Barcelone. L'année suivante, Philippe Rose était aussi arrêté en Espagne. D'autres interpellations étaient réalisées au Luxembourg et en France. Les principaux suspects incarcérés étaient remis en liberté trois ans plus tard par la cour d'appel de Toulouse estimant « le délai raisonnable » de détention dépassé… Toxicomanes, la plupart sont aujourd'hui décédés, emportant dans leur tombe le destin secret du fabuleux butin. Seul 1 million de francs a été retrouvé au hasard des perquisitions. L'un des chefs du gang, Gilles Bertin, sait peut-être où est passée cette fortune. Mais sa trace a été perdue en 1988 à Barcelone et il y a peu de chance qu'il se rende ce matin aux assises où il est pourtant convoqué. Le Dépêche