
« 1st European punk rock festival » (21/08/76)

MONT-DE-MARSAN (21 AOUT) :
LE PREMIER FESTIVAL « PUNK » D’EUROPETrois ans après qu’Yves Adrien ait lancé le mot (et la mode), le rock punk va trouver à Mont-de-Marsan sa consécration.
Une journée complète sera consacrée à cette musique qui se pose comme la continuité d’une tradition, d’un esprit qui s’est quelque peu perdu au fil des années. Le rock punk est fait pour ceux qui boivent leur musique sans eau ni colorant, sans synthétiseur ni gadget électronique. Bref, un retour aux sources pour les amateurs de Gene Vincent, Chuck Berry ou de la grande explosion anglaise des années 60.
L’Angleterre enverra d’ailleurs une bonne part des participants à ce festival. Pour ceux qui n’ont pu voir et écouter Eddie and The Hot Rods lors de leur dernière tournée en France, ce sera une bonne occasion d’apprécier ces gens qui sont les prochains héros de la scène britannique. Leur musique est un voyage au travers des grands rythmes électriques depuis Crusin’in Lincoln jusqu’à Wolly Bully.
Tyla Gang la nouvelle formation de Sean Tyla, est elle aussi un des plus sûrs espoirs du rock britannique. Une musique qui oscille entre celle du J. Geils Band et de Little Feat, voilà ce que propulsent ces quatre musiciens qui ne se prennent pas du tout au sérieux.
A signaler encore parmi les représentants de la belle Albion, Pink Fairies qui furent les maitres du hard rock politique avec Third World War et Edgard Broughton Band. Ils ne font pas dans la dentelle.
Nous aurons aussi droit à un aperçu du rock écossais avec Gorilla’s (qui font une fantastique reprise de « You really got me »), du rock suisse avec Rainroad (peut-être un solo de corne des Alpes électrique en prévision) et du nouveau rock new-yorkais avec Mirrors animé par Richard Hell (ex-Télévision).
Les organisateurs ont aussi judicieusement invité des musiciens français ce qui se voit rarement dans de tels rassemblements. Outre l’excellent Little Bob Story (lauréat d’un de nos si recherchés oscars !) se produira Bijou un trio parisien qui a choisi de reprendre le flambeau des Chaussettes Noires, de Ronnie Bird ou des Chats.
Mont-de-Marsan le 21 août, ce sera la fête du rock pur et dur celui qui vous écœuré à jamais des niaiseries débiles des faiseurs de musique pour super-marchés.Michel EMBARECK
Salut les punks
VINGT musiciens, professionnels du disque, managers, journalistes et une pile de bagages extravagants forment une file confuse aux abords d’un autocar National à la gare routière de Victoria. Un mystérieux point d’interrogation flotte dans l’air comme un micro-perche fantomatique. Il est 10h du matin, bien trop tôt pour des réponses rationnelles. Pourtant, alors que chacun se dévisage avec une méfiance à peine dissimulée, au moins 90 % de ce groupe hétéroclite semblent pris d’appréhension — pour ne pas dire de sérieux doutes — quant à la sagesse de leur implication dans cette entreprise censée être exotique, qui va bientôt dévaler, cahoter et rouler en direction du sud de la France.
Nous roulons tous sous une bannière discutable : le premier festival européen de punk rock — un concert d’un jour, à 80 kilomètres au sud de Bordeaux, dans les arènes de Mont-de-Marsan. Rien que le lieu, avec ses relents de combat rituel à mort, ajoute à l’atmosphère d’inquiétude.
Rien dans ce festival ne ressemble aujourd’hui à ce qu’il devait être à l’origine. Initialement, les Heartdrops (futurs Clash), Richard Hell (ex-Television), les Sex Pistols et Graham Parker and the Rumour étaient les noms annoncés. Le festival promettait d’être la première occasion de voir tous les groupes qualifiés de « punk » réunis sur une même affiche, offrant ainsi une opportunité d’apprécier pleinement la profondeur et la signification (s’il y en a une) de cette scène émergente.
Les Français, experts pour s’emparer des dernières tendances, ne manqueraient pas de prendre tout cela très au sérieux, entrant dans l’esprit de l’événement avec une vengeance soigneusement étudiée. Une foule railleuse de fans de rock à l’image parfaite, zippés jusqu’aux yeux dans leur interprétation du « Style Punk », semblait garantie.
Les arènes pouvaient accueillir 10 000 personnes. Même si seulement un quart de ce nombre apparaissait, vêtus de plastique noir brillant, cliquetant de chaînes, d’épingles à nourrice et de lames de rasoir, l’événement prendrait des allures de théâtre de l’absurde, en harmonie avec la posture rigide du punk.
Le festival punk est l’idée opportune du promoteur français et dirigeant du label Sundog, Marc Zermati. Petit homme sec, il est le patron de l’équivalent français du circuit pub-rock. À quelques exceptions près, les musiciens qui montent dans le car considèrent avec plus ou moins d’amusement, voire de mépris, l’idée qu’ils sont punks ou jouent du punk rock. Le mot seul suffit à faire mousser certains vétérans du rock comme des chiens enragés.
Dès le départ de ce voyage de deux jours, les musiciens dressent des frontières punk et s’installent derrière des lignes Maginot imaginaires, entre résistance et attaque.
À l’avant du car, les Pink Fairies, sans Russell « bras septique » Hunter (en convalescence aux Bermudes — ou était-ce aux Bahamas ?). Il y a Duncan « Sandy » Sanderson (basse), Larry Wallace (guitare solo) et Martin Stone (guitare). Ils ont tous la trentaine — un groupe décontracté de tignasses emmêlées, bonnets tricotés et jeans délavés. Les Fairies furent l’un des premiers groupes psychédéliques de l’Underground, incarnant l’idéologie « paix et amour » de l’époque hippie. Ils n’ont jamais perdu leur arôme de Flower Children. Ils représentent l’antithèse de l’éthique punk, l’autre extrême du spectre musical, face aux membres du groupe installé à l’arrière du car :
The Damned, tous les cheveux courts, moins de 22 ans. Assis tout au fond, les lèvres prêtes à cracher des sarcasmes, les yeux flamboyant de défi. Formés il y a deux mois, bien qu’ils rejettent l’étiquette « punk », ils admettent qu’un terme est nécessaire pour distinguer leur musique des autres styles de rock. C’est leur cinquième concert, mais, comme l’annonce leur batteur grande gueule, Rat Scabies, avec une logique toute punk : « Si on s’était formés six mois plus tôt, on parlerait de nous comme des Sex Pistols. »
Rat Scabies (après leur premier concert, il s’était présenté comme Chris Millar — le ratio des musiciens utilisant leur vrai nom dans le car est de 2 pour 1) pense que The Damned sont mille fois meilleurs que les Pistols. Même si cette déclaration, souvent lancée à portée d’oreille de Johnny Rotten, tient plus de la provocation que d’un constat sincère.
Ensemble, les Damned et leur manager Andy arborent une panoplie punk éblouissante. Leur chanteur, Dave Vanian, 17 ans, fossoyeur de son métier, ne porte presque que du noir. Ses cheveux, peut-être teints en noir de jais, sont lissés et laqués comme un calot d’ébène. Il porte des lunettes noires, un piercing en lame de rasoir, du fard violet, et ses ongles sont taillés en pointe. Il ne parle que si on lui pose une question directe.
Brian James (guitare solo), tout aussi habillé de noir, mais avec des traits plus mûrs et sensuels, est la figure paternelle du groupe. Il intervient lorsque Ray Burns (basse) ou Rat Scabies (tous deux licenciés de leur poste de nettoyeurs aux Fairfield Halls) menacent de faire basculer le groupe dans la folie. Burns porte des vêtements blancs et sales, des lunettes en goutte d’eau, et dans sa valise, une gamme pastel de maquillage avec laquelle il retouche ses lèvres roses. Scabies porte de vieilles chemises, une veste en cuir brun usée, et ses cheveux blonds hérissés évoquent la fourrure d’un vieux chat de gouttière galeux (il a attrapé son nom après avoir vu un rat géant courir pendant une répétition, alors qu’il se grattait jusqu’au sang à cause de la gale).
Derrière les Pink Fairies, le Tyla Gang ne ressemble en rien à des punks — plutôt à des cidriers du Devon. Il y a Peter O’Sullivan (basse), George Butler (batterie), Tweke Lewis (guitare) et Sean Tyla lui-même, plus large de taille, mais tout aussi velu.
Danny Adler de Roogalator (guitare) s’est assis à l’avant lui aussi. Connu pour son jargon jazz-rock pseudo-académique, avec ses deux nouveaux musiciens Julian Scott (basse) et Justin Time (batterie), leur goût pour les fringues américaines des années 50 les rend aussi punk que Slik.
Le centre du car est une zone neutre, sans conflit, où sont assis les Hammersmith Gorillas, aux côtés du commandant du car Jake Riviera (de Stiff Records, contact anglais de Marc Zermati), ainsi que des membres de l’équipe encore floue de Nick Lowe — Paul Riley (basse) et Will « Rodgers » (harmonica).
Les Gorillas arborent des coupes mods typiques de Shepherds Bush, bien lissées, avec contraste entre parties douces et rugueuses. Leur style mod est si prononcé qu’ils donnent l’impression d’avoir été conservés sous naphtaline et presse-pantalons. Bien que Jesse Hector (guitare, chant) et Alan Butler (guitare) aient l’air bien plus âgés que leurs 23 ans supposés, leur batteur Matt McIntire semble plus jeune que ses 17 ans. Ils sont plus proches musicalement des Damned que du Tyla Gang.
Nick Lowe, autoproclamé « opportuniste », a sorti son single « So It Goes » (chez Stiff), une célébration stylée du rock énergique, rapide et désinvolte. Un choix évident pour un festival punk, mais on ignore encore de quel côté il penchera.
À part Lowe et les Damned, la présence des autres musiciens reste un mystère. Peut-être, comme ils ont tous été inactifs un moment et ont des nouvelles formations, envisagent-ils d’adopter un style punk juste pour l’occasion.
Mais à mesure que le car se dirige vers le ferry de Newhaven, il devient évident qu’ils comptent s’en tenir aux principes musicaux qu’ils suivent depuis cinq ans. Leur vraie motivation : l’instinct du musicien affamé, toujours prêt à accepter une date bien payée, surtout si cela promet un voyage tous frais payés sur le continent — une sorte de vacances de chauffeur de bus. La moitié d’entre eux ne savent même pas s’ils vont vraiment jouer. Il y a six guitaristes dans le car… et seulement trois guitares. Qui jouera quoi dépendra d’une camaraderie qui ne s’est pas encore manifestée.
Pour beaucoup, ce n’est « qu’un concert de plus ». Mais ils compensent ce désintérêt apparent par un mépris bruyant pour la scène punk et tout ce qui l’entoure.
Ironiquement, alors qu’on dénonce souvent la violence dans la scène punk, ce sont les musiciens vétérans assis à l’avant qui donnent le ton agressif et compétitif. Ils portent leurs dix années de route comme une armure. Dès le départ, avant même de monter dans le car, ils forment un clan d’anciens, imposant leur autorité comme des officiers d’un camp militaire cherchant à rendre la vie infernale aux jeunes recrues. Le punk ne les impressionne pas ! Avec leurs cheveux longs et leur denim, les anciens n’affichent pas seulement leur supériorité sur leurs visages — leur air condescendant leur donne aussi une mine étrangement louche.
Leur attitude, leur hostilité exclusive, m’a complètement prise de court. Cela a dû saper la confiance des jeunes musiciens comme un coup de massue.
Les Gorillas ont réagi en coupant tout contact avec le reste du groupe et en se repliant sur eux-mêmes, devenant un trio introverti et inséparable.
Rat Scabies, quant à lui, une fois son ego reconstitué, a opté pour une solution plus extravertie face à cet affront. Comme les autres Damned (sauf Bryan James, qui a tourné en Allemagne), il n’était jamais allé plus loin que Wapping Forest…
(suite en page suivante)
Reportage spécial de Caroline Coon, sur le premier festival européen de punk rock, dans le sud de la France.

Nouvelles républiques (27/08/76) / Article : Michel Embareck / Collection : Archives départementales 37 / Numérisation par David Euthanasie




