
Le Palace : Le bal de l’aquarium
On a souvent écrit sur Le Palace, beaucoup de gens ont observé ses activités pour décrire un concert, un moment de la discothèque, ou une fête. Au passage, j’en profite pour les remercier. IIs nous aident par l’intérêt qu’ils nous portent et leur critique nous est nécessaire.
Le Palace me fascine parce qu’au travers de ses multiples facettes, je ne l’ai pas encore saisi. Il est le cadre de la course-poursuite d’une équipe qui a trouvé dans ce théâtre un lien, une arène où se passionner. Il existe maintenant depuis deux ans, et ces deux années ont parfois pesé: cependant l’équipe est là, vigilante comme au premier jour et créative. Le Palace repose sur cette équipe, qui contribue à sa démesure. Les opinions s’’entrechoquent quelquefois, mais on dialogue pour l’essentiel et il en résulte une ligne et un style: ce n’est pas une entreprise totalitaire puisque chacun s’y exprime, et la réussite est d’avoir aménagé celte liberté. Cependant je tiens à ce que ce soit mon entreprise, et aucun collaborateur n’échappe à l’atmosphère, à l’état d’esprit que je provoque. Ceci crée l’univers intime du Palace, et cette intimité de résonances est indispensable à l’éclosion des idées.
Le Palace a opéré de la cataracte son public, il oblige à jeter un regard neuf sur les atmosphères contrastées qui sont les siennes, et en cela il dérange. Il n’est pas un lieu confiné pour initiés, nous ne sommes plus à l’époque de Scott Fitzgerald. Le Palace est un vaste endroit qui bouscule l’idéologie du confort, il est “branché sur le monde. Depuis deux ans, nous avons démontré que nous sommes plus qu’une simple discothèque aux dimensions extravagantes, mais un lieu exceptionnel et totalement ouvert.
Chacun vient au Palace dans le but de réaliser l’un ou plusieurs de ses phantasmes, à cette différence près que, plutôt que de se servir du bruit et de la pénombre pour les dissimuler, la musique et les lumières sont un tremplin pour la mise en scène de ses désirs.
Il y a des femmes qui ‘sont à la mode” et d’autres qui ‘font la mode’. Des femmes du premier type, il y en a beaucoup et personne ne s’en plaindra mais tout le monde est tout de même d’accord pour considérer que les femmes du second type sont plus exaltantes. Car le danger quand on est à la mode c’est, bien entendu, de passer de mode, mais quand ‘on la fait”, que l’on y participe activement, c’est une autre affaire. Personne n’a jamais dit, personne n’a jamais pensé que Coco Chanel, à un quelconque moment de sa vie, pût être « démodée”.
Le Palace a même bouleversé le vocabulaire, il serait tout aussi ridicule de prétendre qu’il est “chic”, ou qu’il ne l’est pas, il est différent et multiforme. Ses expériences sont vivantes, au temps présent, et vont dans les directions les plus diverses.
Entre autres choses, nous avons été les premiers à programmer des concerts de musique “POP” dans un théâtre — stable —- comme disent les Italiens, alors que jusqu’ici ces conceris se donnaient dans des gares désaffectées, dans des gymnases de banlieue, dans d’anciens abattoirs. Je peux prédire que dans peu de temps, on verra sans doute à Paris, un théâtre de plusieurs milliers de places programmer cette musique.
Les concerts du Palace sont directement liés à l’expression la plus vivante, la plus actuelle de la musique. Par l’originalité de la programmation, qui couvre aussi bien le Rock le plus dur, que les tendances les plus ‘mode’, avec ce que le mot implique de consommation immédiate; par l’expérience vécue des Compagnies de Danse Expérimentale, ou le jeu ironique d’une revue comme Paris Muscle: le Label Palace s’impose et insuffle souvent un peu de son prestige et de sa popularité à un groupe, un film ou un disque dont le succès est encore fragile. De jeunes créateurs français ont digéré l’apport des tendances venues d’Angleterre et des U.S.A. et sont en train de renouveler la scène française. Pour le Rock et la Pop en général, je pense que Le Palace a sa responsabilité dans cette évolution. J’ai choisi
une activité s’enracinant dans un réel besoin populaire, éloigné de tout académisme et de toute coterie.
Les Décors du Palace accompagnent la démarche de la discothèque, — opératiques — (référence à Bibiena ou Percier et Fontaine) ou anecdotiques comme le récent espace scénique Science-Fiction, ils témoignent du souci qui nous obsède d’une animation esthétique. (Entre nous, je trouve la plupart des boîtes laides.) Le Miroir, par exemple, est un signe du narcissisme de l’époque, il reflète les silhouettes des danseurs, et ce n’est quand même pas un hasard si ceux-ci, lorsqu’ils se regardent, constatent qu’ils s’accouplent à d’autres beautés. La conscience qu’ont les gens beaux de leur “perfection” dans ce miroir tendu face à eux, accompagne une quête éreintante et me confirme l’existence de l’isolement
de la beauté.
Gérard Garouste à conçu l’essentiel des décors du Palace, et j’ai appelé le même artiste pour inventer le climat de l’Aquarium. Nos discussions ont porté sur le style donné à cet espace. Je souhaite rejeter les matières utilisées ces dernières années: l’éclairage mouvant désuet comme la musique disco; l’abondance des miroirs teintés, aussi flippants que l’utilisation du verre fumé sur les balcons des appartements bourgeois! Nous sommes convenus que ce périmètre serait lié à un état d’esprit rejetant l’Américanisation outrancière, colonialisme culturel créant des endroits ’nowhere”, pour privilégier une décoration basée sur une inspiration européenne, une adaptation des acquis architecturaux et décoratifs à une atmosphère contemporaine, incluant ce que ceci recèle d’inquiétant.
Tout cela, c’est certain, est lié à la mode. Bien sûr, puisque la Musique et la Mode sont les deux phénomènes de l’expression de ces vingt dernières années. La mode est partout, on achète des autos mode’, on n’écrit plus comme au temps du Nouveau Roman, et les Stylistes français sont les laboratoires de la mode mondiale. La musique est porteuse de toutes les aspirations que le théâtre ne traduit plus, le public peut s’identifier aux héros de l’Opéra; la jeunesse “crache” son impatience, ses exigences et ses révolutions dans le Rock. Et nous sommes porteurs de mode, notre angoisse nous liant à son excitation permanente.
La mode règle nos sociétés, les hommes politiques “dans le coup” ont un langage mode, des philosophes prétendent qu’ils peuvent être ‘nouveaux’, etc. Je m’attache à m’imbriquer dans ces mouvements, et j’apprécie l’idée du Palace inspirant des climats et présentant ses tendances.
Le Palace a également exprimé, dans ses programmes Audio-Visuels, sa vision pacifique du Monde. Les événements d’Afghanistan, l’éloignement des dissidents en URSS, les pouvoirs totalitaires (Argentine, Chili, etc.) concernent et troublent les jeunes, puisque c’est l’homme qu’ils deviennent et sa liberté qui est à conforter. C’est un thème fréquemment exploré au théâtre, pourquoi pas ici?
Et on en comprend que mieux le besoin de la Fête.
Je privilégie la Fête. On peut se référer à l’Avant Palace, les nuits fastes étaient rares.
Aujourd’hui elles existent à nouveau “Un mode de vie Palace” est né. Nous avons dépoussiéré, déculpabilisé l’idée de Fête, vitale, et cependant méprisée par les puritains. Nous avons un complice, le calendrier. J’aime la Fête, elle est esthétique et souveraine, elle bouscule les règles, les conventions. Elle s’amuse de sa force, elle ironise comme on se farde, pour masquer ses excès. Elle est jusqu’auboutiste, elle déferile implacable. Marginale et élitiste, elle écarte la médiocrité et transcende la vulgarité. Elle peut même s’offrir le luxe d’être Populaire,.et apporter une dimension nouvelle à son public. Son rythme “speed” accélère les pulsions, tout peut arriver à l’intérieur d’une Fête, c’est la courbe d’une histoire géante ramassée dans une Nuit.
Depuis le mois de Décembre, chaque Mercredi, j’organise une Gay-Party. Les Gays sont rapides comme leur sexualité, percutants, efficaces. Ils connaissent la dimension du temps,il s savent que leur privilège est lié à leur jeunesse, leur apparence, leur enveloppe. J’adore que les Gays aient reconstitué “allégrement” leur ghetto, leur libération est passée par la libération de la femme, qui a étouffé le Macho (ennemi et rêve)… Ensuite, ils ont regardé l’extérieur, et le spectacle des autres “tendances” les a convaincus que leur milieu reste privilégié. Un ghetto reconstitué, c’est héroïque, c’est déjà du théâtre, c’est gai et parodique. Bien sûr, j’évoque ceux que je connais, j’imagine qu’à Dijon, Tours ou quelqu’autre citadelle provinciale, on ne jouit pas d’un micro-climat favorisant les phantasmes de ceux qui s’y fixent! Les Gays au Palace sont une extrême minorité, toutefois, le Mercredi, ils “occupent” la place avec leurs codes, leur regard, leur goût du plaisir. — Ils bougent différemment — Ils pigent — Ils sont toniques — Ils “typent” un lieu. —
Théâtre, Discothèque, Salle de Rock-Conceris, Circulation, Ruche créative sur le qui-vive, Le Palace vous offre aussi l’attraction de l’Autre ou des autres; qu’on-y vienne pour se montrer ou pour “mater” c’est le jeu; nous sommes liés au Plaisir et à la Démesure. Et nous sommes également sensibles aux atmosphères venant de l’extérieur. échange se fait avec nos visiteurs, nous absorbons avidement leur apport. Le remous de la foule est sensuel.
J’aime que la foule envahisse ce théâtre, elle draine l’’Aventure. Lorsqu’elle bouscule les portes elle est rude, et cette brutalité éveille une sorte de désir. Le Désir est le déclic, nous le traquons et il nous traque, il contient sa part de drague, de fantastique, de rêve et d’amour; et il oblige à cet exercice, rude lui aussi, qu’est le vrai regard: pas celui qui étouffe, ‘celui qui voit”.
Nous apportons tous notre énergie, nos névroses, nous quêtons quelquefois la tendresse, et il arrive que nous repartions bredouilles. C’est ainsi le sport, le sport de la nuit! Pas de traquenard, et pas de dupes au Palace. Je souhaite que votre mémoire s’amuse de l’évocation de ce lieu, nous sommes là pour vous plaire et n’y pouvons rien changer.
FABRICE EMAER
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