
Nina KuSS « Dallas »
Lucrate Milk, Nina Kuss et un précieux catalogue de 1983
Il y a plusieurs décennies, alors que je travaillais sur le groupe Lucrate Milk, Marsu, leur ancien manager, m’avait généreusement offert un catalogue rare, que je conserve encore précieusement aujourd’hui.
Encore merci à lui pour ce geste — c’est un véritable fragment d’histoire.
Ce catalogue, édité au second trimestre 1983, est sans doute la première publication autour du travail de Nina Kuss, qui se fera ensuite connaître sous le nom de Nina Childress.
À l’époque, elle est en pleine aventure « punk-arty » avec Lucrate Milk (1981–1984), groupe unique en son genre où elle assure à la fois le chant et les claviers.
Dès ses débuts, Lucrate Milk se démarque par une identité graphique forte et singulière. Ce n’est pas une simple continuation du collectif Bazooka, mais plutôt une alchimie entre personnalités artistiques affirmées :
Masto à la photographie
Laul au graphisme
et bien sûr Nina, déjà remarquable par ses peintures
Chacun apporte son univers, sa propre esthétique. Le résultat est un groupe à la fois musical, visuel et profondément original — un OVNI dans la scène post-punk française du début des années 80.
Le catalogue de 1983 en question a pour thème… la série télévisée Dallas !
On y découvre les personnages principaux de la série — J.R., Sue Ellen, Bobby, Pamela… — repeints à la main par Nina, dans un style aussi vif qu’ironique.
Cette relecture pop et décalée de l’imaginaire télévisuel américain, par une artiste encore inconnue du grand public, marque déjà la singularité de son regard.
Après la fin de Lucrate Milk, Nina Kuss redevient Nina Childress et rejoint le collectif Les Frères Ripoulin, marquant ainsi une nouvelle étape dans sa trajectoire artistique.
Aujourd’hui, elle est une artiste reconnue sur la scène internationale.
J’ai eu la chance de la croiser lors d’un vernissage il y a quelques années. Une rencontre marquante, empreinte de simplicité et de générosité. Un beau moment que je n’oublie pas.



Nina Childress. Vingt-quatre ans. Chanteuse punk du groupe Lucrate Milk pendant quatre ans. 77-81. Concerts dans les squatts, les clubs de Berlin, le Musée d’Art Moderne, un scandale, Refrain connu : I love you, fuck off ! Laisse tomber le punk pour la peinture, vire au psychédélisme.
Tous les matins, Nina se lève à sept heures et pédale dare-dare à son atelier. Ne lâche plus le pinceau, téléphone coupé. Elle m’explique : « Je vais à l’essentiel ; je soigne mon karma. Résultat : je deviens hyperproductive. Avant je suivais, je voulais toujours être ce que je n’étais pas. J’ai compris que c’est pas en singeant les groupes punks que J’arriverai à ce résultat. À quatorze ans, je disais à ma mère : « J’aimerais bien être peintre, mais C’est trop dur : alors je serai psychanalyste. »
Dans sa peinture, Nina brasse tout, ne néglige aucune influence, puise dans toute sa culture y compris scientifique. Elle déboîte sans arrêt de la figuration à l’abstraction, du conceptuel au cinétisme. « J’adore calculer des tableaux à la machine, noircir des pages d’esquisses avec des chiffres, des règles de trois, etc. J’ai élaboré une théorie sur la couleur : gris égale marron égale kaki égale vermillon. Ça paraît débile comme tout ce que je fais, mais c’est un gag sérieux. »
OK. Nina fonctionne en franc-tireur. Elle nie ses instincts grégaires passés et piétine les écoles. Mais alors, pourquoi s’est-elle acoquinée avec les Ripoulins, cette célèbre bande de sept jeunes peintres parisiens chahuteurs ? Manque de confiance en soi ? Peur de ne pas assurer toute seule ? Pas du tout !
« Les Ripoulins, je m’’entends bien avec eux, ils sont stimulants. Je peux pas traîner avec des gens qui flippent. Ça déteint trop vite. J’ai décidé de plus me faire chier avec les pleurnicheurs. Je ne vais pas passer ma vie à remonter le moral des autres ; je ne suis pas le SAMU. »
Je cherche des failles : « Tu as toujours eu le baromètre coincé au dessus de zéro, positif à cent pour cent ?
— Non, j’ai fait une fois une dépression nerveuse à cause d’un type.
— Ça a duré longtemps ?
— Trois jours. L’horreur !
— C’est rien trois jours !
— Je sais. Mais d’habitude ça ne m’arrive jamais. »
J’enfonce la chignole plus profond : « Et de toi, tu ne doutes jamais ?
— Je sais pas si ça a un rapport, mais j’ai découvert que j’avais la même figure astrale que Napoléon : lion et buffle ! »
Je lui braque ma lampe de bureau sur le minois : « Tes ambitions, vite !
— Je rêve d’être la première femme peintre invitée chez Drucker. En star, pas comme le pauvre César qui traîne ses cinquante balais et plus. »
Bon sang : Nina Childress a monté sa volonté sur gyroscope. Le navire file droit sur un cap précis. Je commence à me demander si je ne suis pas un canard boiteux. Se poser des questions d’identité ! S’inquiéter sur notre époque ! Qu’en disent-ils, tous mes frères positifs à mort ? Tchernobyl, la guerre des étoiles, ça leur dit quoi ?
Il me faut un jeune patron moderne. Un rusé. Le squatter qui a installé ses pénates sur un secteur pas encore défriché.Actuel n°86 (12/86)
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