
STINKY TOYS AU PIED DU MUR
Un peu comme si le trente-trois tours venait un peu tard. Nés très tôt, en 1976, STINKY TOYS est un des premiers groupes à annoncer le renouveau de la scène-rock française et très vite, la presse s’empare du phénomène et fait de Stinky Toys le groupe « punk » français. Tout le monde est sûr du succès. C’est le groupe qui accrochera les « kids ». Ambiance mondaine, parties, passage dans Accélération punk, courte apparition dans une émission télé où on voit les « Toys » allongés sur un canapé jouant avec le fric, toute une image est ainsi créée qui, déjà, ne quitte plus le groupe.
Conséquence directe de la mode dont on sent déjà qu’elle s’essouffle, Stinky Toys est le premier groupe à subir le retour de manivelle. Quand sort il y a un mois et demi le trente-trois, toute une réputation colle au groupe et un fossé immense existe entre son public et lui. Les gens boudent Stinky Toys comme si on devait les punir de ne pas être à la hauteur par rapport à ce que tout le monde avait pu fantasmer sur le groupe « punk » français.
La presse a-t-elle trop parlé d’eux et trop tôt ? Les Toys ont-ils trop joué avec cette image mondaine ? Sans doute un peu les deux. Ce qui est fait est fait, de toutes façons, regardons plutôt ce que représente Stinky Toys et rétablissons un peu les faits. Stinky Toys sans complaisance de a part, est sans doute le groupe français le plus original. Né en même temps que les scènes anglaise et américaine, la musique des Stinky Toys ne doit à personne, ils ne sont ni du sous-Clash, ni du sous-Pistols, ils sont les seuls à nous proposer ce son unique qui fait leur orginalité. Étrange croisement entre une musique moderne, froide, glaciale, les sons de l’an 2000 et une énergie fun, note intimiste qui rappelle les surprises-parties de nos aînés. Stinky Toys est une urgence, sur laquelle on se surprend à danser. Classé de groupe mondain, je vourdrais seulement ajouter qu’il est le seul, paradoxe, qui est passé au travers de toutes les modes de l’année passée, sans changer d’un iota son image et sa musique. Groupe majeur qui mérite d’être débarrassé de tout ce fatras de préjugés qu’on porte sur eux maintenant — pourquoi vous priver du plaisir de danser sur « Driver Blues » ou « Plastic Faces » ? Vous auriez bien tort et moi, je sais très bien, ce que je vais mettre derechef sur la platine.Annie aime les sucettes n°1 (19/01/78)
Pour parler d’une musique, il faut parfois emprunter des chemins surprenants qui nous emmènent loin du fameux trois accords mais qui nous y ramènent de gré ou de force. Cela sera le cas de cet article consacré à un personnage particulier de la scène parisienne — rassemblement non-seulement de musiciens mais aussi d’individus dont les différences marquées font aussi la richesse — la « nouvelle vague » tire son nom de cette confrontation de sensibilités typées.
Hervé nous reçoit dans l’appartement de ses parents. Hervé est le batteur des STINKY TOYS, il fut aussi (et surtout, serais-je tenté d’ajouter) une des ânes de Loose Heart, il est également celui qui part quatre jours à la campagne avec dans ses valises une batterie électronique, une gratte et divers autres instruments, mettre sa musique en bande .: « tu comprends, je me fous que ma musique soit : connue ou pas, je ne sais qu’une chose, elle est là, dans. ma tête, à faire les cent pas et il faut qu’elle devienne réelle, que je l’entende !»
Nous venons voir Hervé qui est un copain et un musicien — ce qui en soi n’est pas une mince affaire et on s’attend donc à discuter des dernières évolutions de la «Punk » musique mais, surprise ! on parlera de tout autre chose, de Paris et de la société du spectacle, etc. « Moi, je suis pour une conscience sociale ». Je me rappelle au mois d’octobre, concert de Stinky Toys à Eaubonne, jour de l’assassinat de Baader, nous anciens gauchistes, étions venus voir le set en question et c’est tout juste si Hervé ne nous avait pas engueulé : « merde, vous n’êtes pas à la manif, moi, je n’aurais pas joué, jy aurais été ! ». Ne vous y trompez pas : rien à voir avec l’extrême-gauche. Hervé ne discutera pas deux minutes politique avec vous, il ressent simplement les choses — une sorte d’hypersensibilité par rapport à l’événement, l’environnement — et ça sort, comme cela, instinctivement, vécu. N’essayez donc pas de décortiquer ces quelques paroles. Et la discussion continue : «la scène punk parisienne
fait comme si tout devait venir de Londres, alors que nous aussi, à Paris, on a notre culture, nos acquis, on vit ici, merde ! — ces quartiers où on va toujours, ces éternelles soirées au coin du feu, mai 68 — on vit un vide et pas n’importe lequel, celui qui nous entoure ».
Langage qu’on avait oublié — paroles qui collent à notre vécu — la mode a tout envahi — tendance totalitaire à tout enfermer dans des clichés passe-partout — on ne retient que l’image des épingles à nourrice et des T-shirts déchirés — Punk — les images renvoyées sont du niveau sado-masochisme — «le mot d’ordre des punks : s’avilir » (Paris-Match).
Or, derrière toute cette façade, il y a autre chose, des individus vivants, essentiels, comme vous et moi enfermés dans la merde ambiante et qui se cognent la tête contre les murs !
Hervé est un de ces personnages qu’il faut prendre sur le vif, qui ira droit au but à la recherche du RÉEL. Ne pas tricher. Ne pas hésiter à renverser les conventions établies — conformisme à bannir. « La scène punk n’est pas mon truc, il n’y a que trois groupes primordiaux Subway Sect, Talkings Heads et Modern Lovers. Oui, dans le. restant, il y a des groupes qui m’amusent, qui me plaisent, mais pour moi, ce n’est pas là que cela
se passe, c’est avec les trois groupes cités plus haut. »
Assis sur son fauteuil, la télécouleur qui marche à fond, prêt à courir jusqu’au téléphone qui sonne sans cesse, Hervé parle, parle, parle — magnifiques pulls, baskets, Hervé garde une image très teenager — un côté qui m’a toujours fasciné chez lui — Télévision, Fanzines, Comics, Ketchup, Téléphone. Hervé est le fils direct de Donald Duck et des situatil istes, étrange croi: £, détonnateur. Toujours en train de courir dans l’appartement après une conversation inachevée, un feuilleton policier américain, un son rythme qui traîne ici et là, Hervé a l’air faussement enfantin et naïf des gosses de la ville trop vite poussés dans le béton. On lui confierait le bon dieu — image de copain, toujours sympa, qu’on a envie d’avoir dans les parties, parce que c’est un peu le petit frère de tout le monde. Affaire de famille ? Hervé vous écoutera, rira et dansera. Pourtant, dans sa tête, cela gambergera. Hervé sera ailleurs avec ses problèmes, sa musique, ses fantasmes. Rien n’est simple et réduire Hervé
à cette simple image de gosse tourmenté serait plus qu’une erreur — images saisis au vol, ce papier ne peut être que partiel.
Changement de décor, on passe du salon très modern style 1950 à la piaule, minuscule, couverte d’affiches et véritable grenier rempli de trésors enfouis, vieilles bandes soigneusement entretenues : Pistols au chalet du lac, Subway Sect au Palais des Glaces (quand on vous parlait d’eux tout à l’heure !) et la dernière bande d’Hervé lui-même.
Ce qu’on osait pas lui demander, faveur sacrée, il va lui-même nous l’accorder. « Je vous préviens, dites-moi franchement ce que vous en pensez, je préfère les gens qui me disent que c’est de la merde comme cela, je peux travailler et tout chambouler ! »
La bande magique. Toujours cette influence de la scène américaine dont Hervé pourrait nous parler à longueur de temps — on imagine le nombre de fois que Talking Heads a dû passer sur l’électro. Musique fraîche, rendue froide par l’absence de chanteur et la batterie électronique «quand je l’ai écouté la première fois, je l’ai trouvée chiante, cela ne correspond pas à ce que je voulais». Rythmes qu’on a envie de reprendre — la bande, assurément, n’est pas parfaite et c’est sûr qu’il y a beaucoup de travail à y faire — mais on sent là ce petit rien d’essentiel qui fait qu’une musique devient UNIQUE, dans nos têtes : l’ensemble de la scène parisienne, très branchée sur Londres et à côté, cette bande, tout à fait différente, ces sons qui nous manquent à Paris, qu’on aimerait bien voir un jour ou l’autre jouer sur scène.
« Ça m’étonnerait que je trouve quelqu’un pour jouer avec moi, cela ne correspond pas du tout à ce que l’on écoute en ce moment et si je trouve, cela sera dans six mois et sans doute trop tard ! »
L’heure qui tourne — cette discussion me donne envire d’agir. Agri non pas comme cela pour une idéologie quelconque, non, agir parce qu’il faut BOUGER, parce que quand je vois quelqu’un comme Hervé qui VIT sa musique, moi aussi, j’ai envie de vivre mes trucs. L’entretien (terme impropre) tire à sa fin — 19 h 30 — il nous faut partir — à bientôt, sans doute !P.S. — Difficile d’enfermer sur du papier les pensées d’un individu vivant que vous avez en face de vous, alors il faut pas prendre cet article à la lettre. Quand je fais parler Hervé, c’est en gros ce que j’ai ressenti en l’écoutant, ce ne sont pas des citations universelles.
Johnny Gueule d’Amour – Annie aime les sucettes n°1 (19/01/78)
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